"Comme chaque
année, au moment du vote de la loi de financement de la Sécurité
sociale, revient la même question : « Où la sécu va-t-elle faire des
économies ? ».
On dénonce les hôpitaux mal gérés, les 35 heures, la
consommation excessive de médicaments et, en résumé, une
assurance-maladie au-dessus de nos moyens, ce qui nous conduit à nous
endetter au détriment des générations à venir, égoïstes que nous sommes.
Des « coups de rabot » sont alors prévus sur les dépenses sanitaires et
sociales.
Pourtant, un chapitre du rapport annuel de la Cour des
comptes sur l'application des lois de financement de la Sécurité
sociale, publié le mois dernier, conduit à une explication tout à fait
différente.
Ce rapport mentionne que la fraude aux cotisations
imputable aux entreprises a doublé en huit ans. Elle représente un
manque à gagner de plus de 20 milliards d'euros, en 2012 (cotisations
sociales, CSG, CRDS, Unedic et assurances complémentaires obligatoires),
alors que le « déficit » était de l'ordre de 19 milliards. Autrement
dit, si l'ensemble des cotisations dues avait été effectivement versé
par les entreprises assujetties, notre bonne vieille Sécu serait en
excédent malgré le ralentissement économique préjudiciable à l'équilibre
des comptes sociaux. Il est surprenant que les médias aient peu
développé cette information.
Cette fraude provient pour plus de 90
% du travail dissimulé, en particulier dans les secteurs de la
construction et du commerce. Elle repose sur d'anciennes pratiques
(principalement la sous-déclaration d'activité), mais aussi sur des abus
nouveaux (statut de travailleur détaché à l'étranger ou
d'auto-entrepreneur). De plus, elle s'effectue très souvent au détriment
d'une main-d'oeuvre précaire, confrontée à des conditions d'emploi et
d'hébergement socialement inacceptables.
La lutte contre ce fléau
est donc prioritaire, mais les effectifs de l'inspection du travail
semblent considérablement sous-dimensionnés pour atteindre cet objectif :
environ 800 inspecteurs assistés de 1 500 contrôleurs veillent à la
protection de 18 millions de salariés du secteur privé travaillant dans
1,8 million d'entreprises.
Bien entendu, rechercher un meilleur
recouvrement de cet important gisement de financement ne signifie pas
qu'il ne faille pas continuer à améliorer la gestion des moyens
attribués à notre santé par la collectivité. Nombreuses sont les
initiatives qui s'y emploient. Mais il est faux de dire que nous n'avons
pas les moyens d'affecter à nos dépenses sanitaires et sociales des
sommes qui croîtront inévitablement au fil du temps, du fait de la
diffusion à tous des progrès médicaux et techniques, ainsi que du
vieillissement de notre population. Cette évolution est à voir comme une
chance et non comme un poids, à l'heure où notre économie est en quête
de croissance non délocalisable."