Menaces multiples sur le pouvoir d'achat
extrait Médiapart. du 7/01/12
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Marc Dufumier est un ingénieur agronome et enseignant-chercheur français, dirigeant la chaire d'agriculture comparée à AgroParisTech. Il a été impliqué dans de nombreux projets de développement agricole, en France comme à l'étranger, notamment dans des pays du tiers-monde.
Les transnationales mettent le vivant en coupe réglée: extraits
.... c'est bien par un accroissement de la productivité et des revenus agricoles des paysans les plus pauvres que l’on parviendra à réduire la prévalence de la faim et de la malnutrition dans le monde.
Mais rien n’indique que le recours aux PGM permette d’atteindre cet objectif. D’un point de vue technique, les solutions prioritaires doivent associer les cultures combinant diverses espèces et variétés, complémentaires dans l’espace et dans le temps, de façon notamment à :
– intercepter au mieux les rayons solaires et transformer ainsi le maximum d’énergie lumineuse en calories alimentaires, par la voie de la photosynthèse ;
– produire des protéines par la fixation de l’azote de l’air, grâce aux légumineuses avec lesquelles des bactéries fixatrices peuvent vivre en symbiose ;
– favoriser l’exploration maximale des sols par les racines et les transferts verticaux de minéraux vers la surface, via la production de biomasse aérienne, la chute des feuilles et leur décomposition dans la couche arable ;
– assurer une couverture végétale maximale des terrains, et les protéger ainsi de l’agressivité des agents d’érosion (pluies tropicales, eaux de ruissellement, vents violents, etc.) ;
– apporter le maximum de matières organiques sur les champs cultivés et favoriser ainsi la production d’humus en leur sein ;
– faire barrière à la propagation et à la prolifération d’éventuels insectes prédateurs et agents pathogènes.
Des variétés rustiques, survivant en conditions aléatoires, permettent de limiter les risques de très mauvaises récoltes, ce qui est crucial pour les paysans précaires. En témoigne le succès récent du riz pluvial Nerica en Afrique de l’Ouest. Issue d’une hybridation classique entre des espèces de riz africaine et asiatique, cette variété, riche en protéines, résiste bien aux sécheresses... sans modification génétique.
De même, il conviendrait d’associer agriculture et élevage, de façon à valoriser les résidus de culture dans l’alimentation des troupeaux, et à utiliser les déjections animales pour la fabrication de fumier sans transports excessifs. Mais encore faudrait-il que les paysans aient accès aux moyens de production nécessaires : animaux de trait, charrettes pour le transport des matières organiques, terres en quantités suffisantes, etc. Il s’agit là bien davantage d’un problème de répartition des ressources que d’une affaire de génétique.
Les paysanneries du tiers-monde disposent d’un savoir-faire « naturel » sous-utilisé. Ainsi en est-il des associations de culture dans les « jardins créoles » d’Haïti et dans de nombreuses îles des Caraïbes. De même, certaines sociétés de l’Afrique soudano-sahélienne emblavent leurs céréales sous des parcs arborés d’Acacia albida, légumineuse dont le feuillage constitue un excellent fourrage pour les animaux, et sert aussi à la fertilisation des sols. Les paysans du delta du fleuve Rouge, au Vietnam, cultivent, dans leurs rizières, des algues aquatiques qui favorisent des cyanobactéries contribuant à la fertilisation azotée des sols. Et l’élevage de canards n’est-il pas un moyen efficace de lutter contre les insectes prédateurs du riz ?
Certes, tous ces systèmes sont perfectibles, et les agronomes ne manquent pas de travail, à la condition de reconnaître les écosystèmes souvent complexes dont on doit toujours ménager les diverses potentialités productives.
De ce point de vue, rien n’indique que la génétique soit le facteur limitant de la production et des revenus agricoles, et que les OGM puissent être utiles aux paysans pauvres. Les multinationales auraient-elles massivement investi dans la mise au point de PGM, pour céder ensuite leurs semences aux paysans les moins solvables du tiers-monde ? Les semences de soja, de maïs et de coton transgéniques sont utilisées dans les pays du Sud, au sein de grands latifundia au Brésil, en Argentine et en Afrique du Sud. On ne sache pas qu’elles aient mis fin à la misère des paysans sans terre et des populations des favelas et des bantoustans...
Professeur à l’Institut national agronomique Paris-Grignon (INAPG).
Demain les centaines de milliers de batteries des véhicules électriques pourront être utilisées comme un immense volant de stockage ! Adapter la production électrique à la demande, c’est le casse-tête des gestionnaires de réseaux. Ce défi, auquel s’ajoute l’intégration d’une part croissante d’énergies renouvelables variables, est traditionnellement relevé en faisant appel à différentes formes de stockage de l’énergie : stockage chimique (hydrocarburant), stockage gravitaire (barrages hydrauliques), ou stockage virtuel en interconnectant les réseaux électriques. Mais un nouvel acteur émerge dans la famille des stockeurs : l’ensemble des batteries des véhicules électriques. |
Le 7 décembre prochain, l'ex-footballeur Eric Cantona et 23 000 personnes annoncent vouloir retirer leur argent des banques. Leur colère face à l'impudence des financiers est certes pleinement justifiée, mais dans le contexte actuel une telle initiative risque surtout d'ajouter de la crise à la crise.
S'appuyant sur une interview donnée en octobre dernier par le footballeur Eric Cantona à Presse Océan, les animateurs du site Bankrun2010 appellent les citoyens à retirer leur argent des banques le 7 décembre prochain afin de faire s'écrouler « un système criminel, corrompu et mortifère ». L'écho que rencontre cet appel traduit l'exaspération qui s'est emparée à juste titre du public au vu des dégâts considérables causés par la finance dérégulée et de l'arrogance post-crise de financiers visiblement incapables de se réformer. Mais dans le contexte européen actuel, ajouter de la crise à la crise risque davantage d'aggraver la situation des citoyens ordinaires que de punir les banquiers.
Les dégâts suscités par le fonctionnement actuel de la sphère financière sont apparus au grand jour avec l'écroulement de la banque d'affaires Lehman Brothers il y a deux ans. Alors que les dirigeants de la finance justifiaient leurs rémunérations abracadabrantesques par la sophistication des opérations qu'ils menaient, on s'est alors rendu compte qu'eux-mêmes, bien souvent, ne comprenaient pas les risques associés aux produits qu'ils achetaient et vendaient. Quant aux services éminents qu'ils étaient supposés rendre aux acteurs de l'économie réelle, non seulement leurs exigences de rentabilité démesurées à court terme désorganisaient déjà en temps ordinaire les entreprises mais en plus la crise déclenchée par leur cupidité sans borne a entraîné la plus grave récession depuis 1929.
Du coup, pour éviter qu'elle ne se transforme en une dépression plus profonde, il a quand même fallu les renflouer à coups de centaines de milliards d'euros d'argent public. Moyennant quoi, à peine l'orage calmé, ils se sont remis à se verser des bonus fantastiques, comme si de rien n'était. Et aujourd'hui ils se permettent d'exiger des gouvernements qui les ont tirés d'affaire la mise en œuvre de plans d'austérité toujours plus sévères, pesant surtout sur les plus modestes, pour apurer les dettes que leurs bêtises ont entraînées. De quoi en effet leur en vouloir sérieusement…
Mais est-ce pour autant une raison pour ajouter les effets d'une « ruée sur les banques », un « bank run » comme disent les Anglo-Saxons, à la grave crise qui sévit actuellement dans la zone euro autour des dettes publiques grecque, irlandaise, portugaise, espagnole… ? Les initiateurs de cet appel ont raison sur un point : le « bank run » peut être un moyen très efficace pour faire s'écrouler le système financier. L'activité des banques se caractérise en effet par une asymétrie : les dépôts qui figurent dans leurs comptes au passif, qui sont des dettes à votre égard, vous sont théoriquement accessibles. Alors que ces sommes correspondent, à l'actif des banques, à des crédits qui sont accordés pour financer des prêts consentis le plus souvent pour plusieurs années (pour acheter une maison, une voiture…). Autrement dit, elles ne disposent pas réellement de l'argent correspondant aux montants figurant sur vos relevés de comptes.
En temps ordinaire ce n'est pas un problème : les flux entrants des gens qui déposent de l'argent s'équilibrent à peu près avec ceux des gens qui veulent effectuer des retraits. Mais si un nombre significatif de personnes veulent effectuer des retraits en même temps, la banque n'est très rapidement plus en état de répondre à leurs demandes. Du coup, le phénomène s'autoaccélère, car les autres craignent alors que la banque ne tombe en faillite et tentent de récupérer leur mise tant qu'il est temps… Ce phénomène a été à l'origine de la plupart des graves crises bancaires qui ont affecté tous les pays industrialisés aux XIXe et XXe siècles.
Depuis la crise de 1929 cependant, on était parvenu à éviter le retour des paniques bancaires, notamment en instituant une garantie publique des dépôts, dont le niveau a d'ailleurs été relevé un peu partout depuis deux ans. Si bien que, même s'il rencontrait un certain succès, l'appel « Bankrun2010 » n'aurait sans doute pas toute l'efficacité que lui souhaitent ses initiateurs. Et heureusement. En effet, si le système financier s'effondrait vraiment comme Bankrun2010 le voudrait, les dirigeants de la finance et les traders se retrouveraient certes au chômage, mais ils seraient loin d'être les seuls dans la difficulté. Car, comme cela a failli être le cas déjà après la faillite de Lehman Brothers, c'est toute l'économie réelle qui se trouverait très rapidement paralysée…
Nous vivons dans des sociétés largement fondées sur la monnaie et les relations monétaires entre les hommes et les femmes qui les composent. Des relations monétaires et non pas seulement marchandes : le fonctionnement des services publics et le versement des prestations sociales dépendent eux aussi de l'existence d'un système financier en état de marche… Depuis que nous avons renoncé à l'étalon-or, la valeur de cette monnaie ne repose plus que sur la confiance que nous lui accordons ainsi qu'à ceux qui la créent et la gèrent. La crise actuelle montre à n'en pas douter que ces personnes et ces institutions ont trahi la confiance que nous leur faisions.
Il convient d'en tirer toutes les conséquences à travers des réformes profondes à la fois dans les institutions financières elles-mêmes et chez ceux censés les surveiller. Et, à bien des égards il y a lieu d'être inquiet des retards et des reculs encaissés sur la voie de cette réforme depuis deux ans. Pour relancer le processus, il faudrait une mobilisation citoyenne plus forte. De nombreuses initiatives ont déjà été lancées dans le but de transformer en profondeur la finance. Sans prétention à l'exhaustivité citons notamment le combat pour développer les différentes formes d'épargne solidaire (voir à ce sujet le hors série poche d'Alternatives Economiques réalisé en partenariat avec Finansol), la bataille pour obliger tous les investisseurs à utiliser des critères sociaux et environnementaux dans leurs choix de placements (on verra avec profit le film qui est en salles actuellement Moi, la finance et le développement durable qui traite de ces questions), les actions pour surveiller les banques et leurs politiques d'investissement comme celles menées en France par les Amis de la Terre et à l'échelle internationale par le réseau Bankwatch, les multiples mobilisations lancées contre les paradis fiscaux avec l'énorme travail effectué à l'échelle internationale par le Tax Justice Network ou en France avec la pétition Stop aux paradis fiscaux, sans oublier l'appel lancé par un groupe de députés au Parlement européen en faveur de la création d'un Financewatch européen, un groupe de pression qui soit en mesure de contrecarrer l'action pernicieuse des lobbies financiers sur les institutions européennes…
Bref, les initiatives citoyennes intéressantes ne manquent pas et elles auraient grand besoin de renforts afin de peser davantage face aux lobbies de la finance qui poussent au retour au business as usual après la crise. Mais, dans le contexte actuel de l'Europe, cette mobilisation ne devrait pas prendre la forme d'une action qui risque de miner davantage encore la confiance fragile dans notre monnaie commune. Si celle-ci était réellement remise en cause, les citoyens ordinaires risqueraient en effet de le payer beaucoup plus cher encore que les banques et les banquiers…